
Le gratuit, meilleur ami du capitaliste !
Aujourd’hui, le gratuit serait devenu « la » valeur opposée à un système dit « marchand ». Jadis présenté comme une vertu, le don serait l’alternative absolue à ce monde cruel mu par l’intérêt privé.
Mais le capitalisme aime le gratuit. C’est d’ailleurs son meilleur ami. Et le don, sa plus belle expression ravit tous ceux qui … en profitent. Car pour qu’il y ait profit d’un coté, il doit y avoir don de l’autre. D’ailleurs, le premier fut un legs. Dieu légua le vivant non-humain, subalterne à ce dernier, qu’il rebaptisa Nature pour l’occasion, à son enfant divin, l’humanité. Ainsi, l’espèce humaine d’essence divine, en opposition au reste du vivant bassement terrestre, reçut alors le droit de tirer profit de ce qu’il possédait désormais, puisque reconnu comme héritier de Dieu et donc héritier de sa création.
C’est dans un premier rapport de non-reconnaissance que la première exploitation, celle du vivant a vu le jour. Dans ce premier rapport narcissique, l’homme, sur-reconnu d’essence divine devient indispensable et le reste du vivant, l’autre, celui qui n’est pas humain, est fatalement sous-reconnu et relégué au rang d’accessoire. Et depuis, c’est toujours dans ce même rapport de non-reconnaissance que l’exploitation de l’autre, quel qu’il soit, est justifiée et acceptée par tous.
Le Capitalisme n’a rien inventé. Il a juste perfectionné le système de pensée qui nous gouverne depuis que l’homme s’est inventé un ou plusieurs Dieux pour mieux justifier cette appropriation de l’autre qu’est le non-humain et permettre l’agriculture sédentaire ou l’élevage, entre autres. Ainsi, dans l’ultra-division de notre espèce, d’abord par le genre, puis par la couleur, l’ethnie, la culture, …, il a démultiplié ces rapports de non-reconnaissance qui n’ont fait finalement que démocratiser l’exploitation, justifiée par des inégalités multiples et appelant alors à la non-réciprocité. Chacun pouvant s’approprier tout ou partie de l’autre, du corps à la dignité, en passant par son travail ou sa disponibilité, selon différents critères tout autant arbitraires que partiaux.
En d’autres termes, il a tellement divisé l’humanité en catégories différentes que chacun peut trouver dans ces différences la justification à un sentiment de supériorité par des considération parfois même aussi futiles que la couleur des cheveux par exemple – les blondes sauront de quoi je parle – et donc justifier toute exploitation.
Ainsi, l’exploiteur, quel qu’il soit, dans une sur-reconnaissance souvent inconsciente et parfois auto-suffisante, peut s’octroyer le droit de disposer de tout ou partie de celle ou celui qu’il considère comme différent et donc inférieur. Tout comme l’exploité se sera vu conditionné dans le devoir de nourrir celui qu’il considérera – sans même y penser – comme supérieur à lui. Ainsi va la violence symbolique. Mais l’un ne va jamais sans l’autre.
Le gratuit ou le don n’est pas une alternative mais une donnée du problème que l’on refuse de remettre en question tant nous y sommes attachés. C’est d’ailleurs le problème. Pour nous tous, rien n’est véritablement gratuit et nous en prenons conscience aujourd’hui avec l’effondrement du vivant. De la même manière, pourquoi parler de services publics gratuits ? Ils ne sont pas gratuits. Nous les finançons tous par l’impôt. C’est peut-être parce qu’on s’est laissé convaincre qu’ils étaient gratuits que nous les regardons impassibles, comme pour notre écosystème, s’effondrer sous le poids du capitalisme.
Le gratuit est de facto une non-reconnaissance de la valeur des biens, des services et même des personnes. Alors pourquoi en prendrions-nous soin ? Pourquoi défendrions-nous ce qui n’a pas de valeur, et même ce qu’on nous a convaincu d’être des charges ? Et nous continuons à croire que nous bénéficions du « gratuit », du « don » sous toutes ses formes. D’ailleurs, les écologiste convaincus, pourtant conscients de la surexploitation du vivant, ne répètent-ils pas à qui veut l’entendre que nous emprunterions la terre à nos enfants ?* C’est donc toujours en possession de l’homme.
Le gratuit ou le don restera toujours une exploitation. Et l’exploitation ne peut se faire que par des liens de dépendance qui engendrent toutes les violences. La seule alternative à cette société mue par ces rapports de domination qui nous divisent dans des compétitions stériles est de redevenir des êtres vivants indépendants coopérants dans la conscience de besoins communs. Et la coopération ne peut se faire que dans l’égalité, l’équité, la reconnaissance et la réciprocité.
C’est donc dans la gratuité que le capitalisme et nos liens de dépendance trouvent leur meilleure justification. Si nous arrêtons de les nourrir en rétablissant, dans chacun de nos liens, de nos échanges et de nos rapports, reconnaissance et réciprocité, nous ne gagnerons peut-être pas la guerre contre le Capital, mais nous retrouverons au moins notre dignité humaine, dans la reconnaissance de notre indépendance face à un système indigne de ce que nous sommes.
* « Nous n’héritons pas de la terre de nos parents, nous l’empruntons à nos enfants. »
Antoine de Saint-Exupéry